Dégustation : La Volupté du Chaos, Brasserie Bendorf
Loin de nous l’idée de faire la propagande abusive de Bendorf dans nos colonnes vu le nombre de critiques taillées à leur gloire ces derniers temps mais que voulez-vous, la brasserie strasbourgeoise s’avère être la plus créative de la région (du pays ?) avec déjà une bonne douzaine de nouvelles créations rien que pour cette année 2017. Nous n’allons donc certainement pas les blâmer pour cette débauche artistico-gustative, surtout lorsque la qualité est au rendez-vous. Nouvel exemple en date : la “Volupté du Chaos” qui n’est autre que la première tentative du style Berliner Weisse en Alsace. Et puisque nous sommes des bourgeois gentilshommes, nous allons évoquer sa variante agrémentée de framboises issues de la Ferme Obrecht, oui oui.
[PS : craignant de ne pas avoir pondu suffisamment de bières différentes, la fine équipe de Bendorf a également accouché d’une Volupté du Chaos nature et d’une version IPA. Rien que ça…]
My name is Liner, Robert Liner
Et là vous allez encore me dire “zyva, qu’est-ce qu’il me saoule l’autre encore avec ses termes zarbi, y peut pas dire blanche, blonde ou ambrée comme tout le monde ?”. Et là je vais vous rétorquer que attention ! Oui attention, car d’une part nous n’avons pas grandi ensemble dans un bar à putes mexicain, et d’autre part parce que c’est à nouveau l’occasion de cultiver le champs de neurones de votre ciboulot avec de nouvelles connaissances. Merci qui ?
Bref, comme sa désignation l’indique intelligemment, le style “Berliner Weisse” a vu le jour dans le nord de l’Allemagne. Ce qui l’est moins, c’est que son origine remonte en des temps que vous n’avez pu connaître, loin là-bas aux 16ème ou 17ème siècles selon les diverses versions de son histoire.
Des chercheurs en auraient ainsi trouvé des traces dans la ville de Hambourg dès le 16ème siècle avant qu’un certain Elsholz, docteur berlinois, s’en empare aux alentours de 1640. Et boom, succès. D’autres évoquent une naissance issue de la venue des huguenots français qui se seraient inspirés des rouges ou brunes des flandres pour créer une bière de blé acide. Et boom, succès. Puis les derniers estiment que le genre est tout simplement né à Berlin vers 1572. Puis boom, succès. De leurs côtés, les troupes de Napoléon qualifiaient les Berliner Weisse de “Champagne du Nord”, c’est vous dire à quel point ces vulgaires bières peuvent paraître raffinées (pour la version longue de tout ce bazar, vous pouvez faire un tour par là).
En tout cas pas de doute, les Berliner Weisse remontent à des temps sacrément reculés, et furent systématiquement très populaires, notamment auprès des ouvriers compte tenu de leurs forts pouvoirs désaltérants et de leurs faibles taux d’alcool. Hélas, la débandade du style démarre au début du 20ème où l’on commença à y ajouter du sirop ou des plantes afin de minimiser son acidité, avant de le voir tomber dans l’oubli quasi-total. Mais là encore, c’était sans compter sur la fibre créative des micro-brasseries qui s’en sont emparées gaiement dans les années 2000 pour faire renaître des sensations oubliées.
Deutsch Schmilblik
Faisons simple, faisons bien (c’est que j’ai une tarte aux carottes qui m’attend dans le four), une Berliner Weisse se définit par les points suivants :
- Une couleur très pâle pouvant être limpide ou trouble,
- Une mousse généreuse mais peu persistante,
- Une acidité lactique modérée (et surtout souhaitée) générée par la présence de bactéries de la famille des lactobacillus,
- Des notes modérément fruitées (citron ou pomme verte) et/ou de pain. Houblon(s) absent(s),
- Un corps léger, une grosse carbonatation, une finale sèche.
Sisi, ça reste toujours de la bière, promis.
Fiche technique de la Volupté du Chaos
- Bière de type Berliner Weisse,
- 3,5% alc.,
- Malts : orge, blé,
- Houblons : Strisselpalt, Amarillo,
- Autres : framboises de la ferme Obrecht,
- Bière de fermentation haute.
Dégustation
Maintenant que les bières acides sont redevenues à la mode (tout du moins chez les beer snobs), la curiosité et l’excitation sont de mise à l’idée de découvrir comment s’en est sorti le gang de Bendorf.
Passé le léger pshit à l’ouverture, c’est une grosse bouffée de framboise qui se dégage de la bouteille. Voilà qui envoie déjà du rêve. La couleur de cette Volupté du Chaos tape dans le rose/fushia bien opaque du plus bel effet. On dirait que le verre se transforme en tube de néon coloré que ne renierait pas un sex shop de la capitale des Gaules. Le tout se pare d’une petite mousse rosâtre qui tient pas trop mal pour une bière au fruit.
Au nez le doute n’est pas permis, il y a bien de la framboise dans ce breuvage d’origine teutonne, mais en bouche il en est tout autrement. Du haut de ses 3,5 petits degrés d’alcool, il ne faut pas s’attendre à une grosse présence buccale. Le corps est très faible, ce qui peut engendrer une sensation assez aqueuse que l’on ne voyait pas forcément venir lorsque l’on osait encore se fier à son pif pour le moins mirobolant. En terme d’arômes, la framboise se fait remarquer d’entrée de jeu de manière assez subtile, avant d’être assez rapidement rattrapée par les céréales finissant par squatter les papilles avec des notes de blé. Finalement la framboise parvient à s’incruster sur la longueur, mais sans apporter le moindre aspect sucré, que l’on soit bien d’accord. Point d’adjonction de cochonneries industrielles qui font passer la bière pour un vulgaire soda de cour de récréation, on reste dans le naturel et ça paraît de ce fait un peu plus brut de décoffrage.
Comme évoqué 2 paragraphes plus haut, on ne retrouve ici pas la moindre trace d’amertume puisque c’est plutôt une pointe d’acidité qui accompagne cette Volupté du Chaos, Berliner Weisse oblige. Je dirais même plus, nous tapons ici dans l’acidité lactique qui apporte une petite touche citronnée à l’ensemble. N’espérez pas non plus y déceler la moindre saveur de houblon car là n’est pas l’objectif du style. Les plus intégristes pourront reprocher un manque de sécheresse et une carbonatation trop légère vis à vis des codes ancestraux qui régissent les Berliner Weisse mais qu’à cela ne tienne, la création de Bendorf gagne ainsi en buvabilité.
Pour sûr, certains scanderont que “c’est une bière pour femme” (pas bien !), d’autres clameront que “c’est pas d’la bière ce truc”, mais il est clair que la Volupté du Chaos sort des sentiers tristement balisés que l’on trouve dans nos contrées. Remise sur le devant de la scène par les micro-brasseries du monde entier, la Berliner Weisse sait se faire apprécier et une fois de plus Bendorf, avec sa Volupté du Chaos, est parvenu à transformer l’essai. C’est léger, c’est facile à boire, c’est désaltérant, et la présence de framboise est un plus non négligeable, ainsi qu’un parfait alibi pour aider à atteindre le quota des 5 fruits et légumes par jour.
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